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Hommage au poète Hashem Shaabani


Discours de Bruxelles

Je ne connaissais pas Hashem Shaabani, je n’avais jamais lu sa poésie, qui lui a valu la corde. Après avoir appris sa mort par pendaison ce que j’ai entendu c’est l’habituelle rumeur du monde, comme si cette disparition n’était qu’une fiction qui devait s’additionner mollement à d’autres méfaits lointains. Tout de suite, très spontanément, j’ai repensé aux mots d’un autre poète assassiné, Pier Paolo Pasolini qui traduisait dans son poème « La Guinée » ce sentiment, surtout dans ce passage :

Montrer mon visage, ma maigreur –

Elever ma seule voix puérile –

N’a plus de sens ; la lâcheté habitue

à voir mourir de la plus atroce façon

les autres, avec la plus étrange indifférence,

je meurs, et cela encore me nuit (…)

Je ne pouvais rester silencieux… L’homme qu’on venait de pendre, était fait de la même chair et du même idéal, la même veine jugulaire dans son cou que l'ensemble de mes amis poètes. On aurait tort de penser que les poètes n’existent que pour nous parler de la beauté des fleurs. Les poètes, les peintres, les musiciens, les chanteurs, les professeurs, les journalistes, sont des lumières qui forment un mur solidaire contre l’obscurité… Lorsqu’ils sont supprimés se sont les peuples qui sont plongés dans le noir, c’est ce que j’ai voulu exprimer dans ce poème qui a pour titre « domino » :

« Lorsque la ligne approche

- Silence dans les rangs –

Les enfants se cachent derrière les mères,

les mères se tiennent derrière les hommes…

Les artistes sont au devant,

musiciens, poètes et clowns,

leurs lumières au front font rempart,

autant de clartés qui amortissent l’obscurité…

Ils sont les premiers à tomber,

résistants immobiles, intrépides et généreux

et ce poème ne connait d’autre chute

que la leur. »

Il faut maintenant se demander quel monde nous voulons, il n’est plus tolérable de le penser comme s’il s’agissait d’une superposition de sphères, sphères qui n’auraient aucun lien les unes avec les autres. Nous dépendons du même arbre de vie, l’Iran, la Syrie, la Palestine, l’Irak… tous ces pays sont autant de racines de cet arbre.

Je suis français, je vis dans un pays où je peux exercer ma libre expression, et je crois qu’il est important que les peuples libres ne restent pas sourds à l’appel du monde arabe en proie à la barbarie. Aussi, qu’est-ce qui définit un peuple ? Est-ce ses frontières ? Son drapeau ? Sa religion ? Je ne le crois pas, je suis certain que ce qui nous définit culturellement c’est notre langue.

Mes amis des pays arabes parlent tous l’anglais ou le français en plus de leur langue natale, ils font l’effort de s’immerger dans une autre culture, une autre forme d’expression, un autre mécanisme de réflexion. Nous ne sommes pas assez nombreux, nous autres latins, à faire la démarche d’apprendre l’arabe, et il va être essentiel de sortir de notre confort en nous intéressant davantage à la riche civilisation de l’Orient. Ce fossé entre nos cultures doit être réduit, nous devons nous apprivoiser pour former la nécessaire unité contre l’obscurantisme qui vient.

Depuis Babel le peuple humain est désuni dans sa langue et s’il y a bien un endroit où il se retrouve c’est dans sa poésie qui comme la musique peut être comprise de manière universelle. Le poète d’où qu’il soit est un humaniste, libre de douter, libre d’opposer son esprit contre toutes les formes de pouvoirs en marche, et c’est en cela qu’il est parfois jugé nuisible par certains. A l’heure où beaucoup d’individus se revendiquent de Dieu, il est aussi bon de rappeler que les premiers concernés par la parole divine sont très justement les poètes. Les poètes sont des êtres enthousiastes, « enthousiasmós» « être en dieu ou inspiré par lui…» ils reçoivent le souffle et le traduise en livre, le plus humblement possible sans se réclamer de qui que ce soit.

Les mots changent le monde, les mots se situent entre la pensée et l’action. Et c’est pour ses mots que Hashem Shaabani a été assassiné, cette mort est injuste, et il est bon de se souvenir de cette phrase de Montesquieu : « Une injustice faite à un seul est une menace faite à tous ! » Ecrivons et créons, car changer ce monde n’est pas une option, c’est un devoir. Alors changer le monde, c’est souvent long, délicat, parfois même complètement désespérant, mais si chacun donne sa part à l’édifice de notre humanité afin qu’elle puisse enfin s’élever harmonieusement grâce aux fondations de sa solide diversité, je reste convaincu que cette utopie est une réalité accessible.

J’ai voulu donner ma part, en écrivant ce poème à Hashem Shaabani :

L’enfant d’Ahvaz

Pour ne pas avoir ployé le genou devant dieux et maîtres,

on va pendre ma poésie par le cou et c’est là leur erreur

que de croire que sur un terreau d’épouvantes ne peuvent naître

des fleurs de révolte et des armées de valeureux poètes.

Vous n’avez de l’histoire vivante retenu aucune leçon :

lorsque Saturne mange ses petits c’est bientôt la famine,

c’est les saisons sans moissons, c’est l’ogresse nation

qui dévore son propre ventre, c’est le péril dans votre maison.

Votre plus suprême faiblesse et d’invoquer des divinités

pour justifier et perpétrer vos crimes : les rois - on le sait -

ne doivent l’or de leur trône qu’à leurs biographes qui

améliorent le visage de la couardise en masque de bravoure.

Je suis l’enfant aux yeux clairs des rues sombres d’Ahvaz,

je n’ai pas voulu de cette gloire funeste sous un ciel aussi bleu.

La poulie lente de mon bourreau n’aura pas eu raison de mes mots…

Je meurs libre et je n’ai jamais été plus vivant !

Grégory HUCK

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