Les Névroses par Maurice Rollinat

Très cher Maurice Rollinat, Votre consécration fut brève, mais suffisante, pour parvenir jusqu’à nous. Ils n’étaient pas nombreux à vous accorder des lauriers en votre temps, tant il est vrai que l’ami Charles occupait tout le siège du macabre et du sublime ; ainsi l’ami Verlaine vous nommait le « sous-Baudelaire ». Il n’y a bien que Jules Barbey d’Aurevilly, qui voyait en vous un « diable d’acier », vous jugeant plus sincère que le poète de L’Albatros qu’il désignait comme étant le « diable de velours » ; je comprends le besoin de comparaison, mais peser la qualité d’une œuvre en l’opposant à une autre me semble un exercice paresseux. Il ne reste aujourd’hui dans ce XXIe siècle naissant que peu de vous. Il est pratiquement impossible de trouver en édition vos œuvres, c’est pourquoi notre humble collection de l’Olifant a voulu vous rendre justice. Votre recueil Les Névroses nous arrive ici comme un puissant témoignage et peu importe si l’écorce de vos poèmes est sombre, il plaira aux anachroniques, aux mélancoliques et aux désireux d’un ailleurs exotique. Ils admireront votre manière de traverser la charge symbolique de vos sujets aussi bien que si vous vous incarniez en eux : dans l’assassin, la fromagère et toute autre bête humaine. Si votre poésie témoigne d’un temps ancien elle reste néanmoins très moderne, car elle possède le grincement universel nécessaire et que toujours :
« L’homme est un moucheron d'une heure qui veut pomper l'éternité. »
Oui cela grince, comme la porte de votre Magasin de Suicides que l’on imagine poussée par La Mariée, mais vous n’êtes pas seulement le client espiègle du verbe mutin, car, lorsque soudain il vous plaît de nous parler de l’amour, vous êtes des Visions Roses le plus honnête des tribuns. Et c’est sans détour que vous nous rappelez à notre chair, fût-elle grasse ou légère, que la femme est chez vous l’obsession première. Votre courte vie émaillée de tentatives de suicide et de maladies n’a pas entamé votre lucidité. Cramponné à votre table de travail de Fresselines, vous avez de vous sorti entre autres achèvements, L’Abîme, livre plus ancré dans le vice humain et que nous espérons aussi publier. Quant à toi jeune lecteur ou poète, tu trouveras dans ce présent recueil l’essence naturelle et nécessaire à celui qui, sortant de sa chrysalide, manque d’énergie pour décrire avec stupeur, un monde humain dont le rêve ne cesse de se retirer et dans lequel il faut pourtant exister. Grégory HUCK, 28 avril 2017