De l'autre côté du mur

Ce mercredi 2 octobre 2013, j'ai passé 3 heures avec 4 prisonniers de la maison d'arrêt de l'Elsau, dans le cadre d'un projet culturel. On ne ressort naturellement pas indemne de ces murs et je vais être appelé à y retourner. J'ai écouté, absorbé, posé mes questions, et encouragé ces 4 hommes à écrire, puisque c'était l'objectif de ma présence. Je ne peux pas dire ici publiquement tout le contenu de ces échanges, mais je peux livrer mes impressions que voici. D'abord il n'y a pas de mythe, violence et promiscuité sont bien les reines dans cette cité coupée du monde. L'Elsau n'est plus une maison d'arrêt pour "courtes peines" ça c'est sur le papier : se côtoient ici le prisonnier tombé pour un délit mineur, en préventive, tout autant que le prisonnier tombé pour meurtre et qui purge une peine de 10 ans.
Ce phénomène est préjudiciable, car la restriction des droits n'est normalement pas la même pour un détenu en préventive que pour celui qui purge une peine lourde, de ce fait tout le monde est à la même enseigne : pas de connexion internet, personne ne téléphone car c'est extrêmement coûteux, 22h en cellule par jour. Etre privé de sa liberté est une chose, être privé des droits élémentaires en est une autre :" t'as une rage de dent? Tu t'inscris sur une liste, si t'as de la chance t'auras des soins dans 5 mois. Tu sais où elle est là crise ? Elle est dans ma cellule, ton seul luxe ici ? C'est tes compagnons de cage, le luxe c'est de ne pas tomber sur un psychopathe, un drogué, ou un dépressif, parce que sa folie devient vite la tienne... la nuit, t'as ceux qui gueulent "maman", ceux qui se tapent la tête contre les murs, et ceux qui vomissent parce qu'ils sont en manque... Va dormir avec ça... La crise ? C'est dans ma cellule" Dit-il en tapant 3 fois son index contre son crâne, ce détenu est un sdf tombé pour avoir volé du jambon et des bananes au super U...
La perte de dignité, l'humiliation, la malnutrition, le manque de soin... Et puis la violence de la coursive, c'est au quotidien, pour une paire de basket, un regard, un morceau de shit. On se range par clan racial et celui qui bouge une oreille est passé à tabac.
Pour éviter cette violence, il y a une solution : créer du lien. Dans cette petite salle la parole était libre, et on pouvait sentir le soulagement de ces hommes qui ici parlaient en paix alors que dans la coursive ils sont obligés de s'ignorer n'étant pas du même clan. En créant du lien, en intervenant plus fréquemment dans ces lieux de folie pure, il est possible de briser certains codes et de créer un tissu humain entre les détenus, j'en suis convaincu.
Dans un premier temps - Je voudrais créer un projet "Parole de prisonnières" recueillir des témoignages de femmes incarcérées, et organiser pour une date unique, une lecture en musique de leurs mots. Ces lectures naturellement seront assurées par des femmes. (Aussi si vous êtes intéressées merci de me contacter) -
Poème relatif à ce projet :
Le violon noir
Prison de l’Elsau 2 octobre 2013
Tu rentres dans le mur,
et puis le mur rentre en toi.
Terre, ciel et soleil resurgissent comme un souvenir
du précipice des jours,
une heure durant, deux parfois…
c’est une poignée de lumière jetée
dans l’arène de la coursive,
dont tu écrases la cendre vite,
avant que ton ennui n’accouche
de la violence de l’autre.
L’autre, devenu tout aussi
mur insurmontable que toi
et dont tu subis l’écœurante intimité. Ils sont deux et parfois trois
à se disputer ton chiotte et
ton rectangle de ciel entre les briques,
ton 9m² de purgatoire, le tout couvert
par les applaudissements de la télé.
Et la nuit n’est pas en reste de tortures,
c’est le violon noir qui joue
sa symphonie de cris et de dégueuloirs,
de ceux qui manquent d’étoiles, de shoots ou de mamans.
J’ai pris quatre mois ferme de cette peine
pour deux tranches de jambon et des bananes,
j’ai récidivé par faim, par froid, par vague à l'âme,
dehors je suis le sans-abri, le sans-mur,
et crois-moi : sortir de prison est une chose...
laisser la prison sortir de soi en est une autre.
Grégory HUCK