...du non-monde

Je profite d’un mauvais sommeil qui trépigne comme un chien pisseux au milieu d’un rêve pour revenir là. Ma définition du "non-monde" se précise, elle m’apparait à travers certains phénomènes contemporains, traduction d’une forme de mauvaise humeur.
Un philosophe de la TV s’est fait insulter face caméra, une injure raciale qui provoque plus ou moins l’émotion nationale, cette actualité se tasse après quelques manifestations de soutien et puis les dossiers ressortent : Ce philosophe TV avait défendu un réalisateur coupable de pédophilie. L’on passe aisément du couronnement au scandale. Une vedette de la mode est morte hier, la nécro est prestigieuse mais je compte que dans moins d’une semaine ses affaires d’harcèlements vont faire danser la pieuvre-média sur sa dépouille encore tiède.
Tout ça c’est de la merde ! C’est du "non-monde" présidé par le Grand Commentateur et cela occupe un espace insensé. Si vous prétextez que ce sont là de petites choses, des effets de loupe absolument arbitraires, vous serez alors traité en nihiliste ou en pariât faisant le jeu de je ne sais quelle engeance. Ce n’est pas moi le nihiliste, ceux qui monnayent leurs rapports sociaux pour un bout de gloire, pour parvenir à être ce qu’ils ne sont pas mais qu’ils désirent être, sont les nihilistes. Le vedettariat c’est la sclérose de nos cultures. Les vedettes concentrées dans les grandes villes forment une pénombre, un crépuscule boulimique qui absorbe toutes les lumières sans recracher d'aubes, c’est cela aussi le "non-monde".
Je ne reconnais qu'un dogme : la création, mais la création au sens large et non pas réservée à l’art. Planter des arbres puis travailler le bois… mettre à profit toutes les forces en présence, inventer des systèmes qui réforment l’existence afin que surgisse la manifestation du bonheur, bonheur qui doit se diffuser. La production du bonheur n’est pas nuisible sauf pour celui qui ne se met pas en situation de créer et qui prendra place sur le siège de la frustration.
La vedette est souvent frustrée et ne produit rien de mieux que l’illusion du bonheur, cela commence par ses séances de maquillage. La vedette copie, plagie et usurpe, la vedette agite d’anciens systèmes en espérant provoquer une joie rétrospective, sans plus. La vedette vie au dépend des autres, de celui qui plante l’arbre et de celui qui travaille le bois, c’est aussi cela le "non-monde".
Celui qui me prêterait ici quelque jalousie ne comprends pas encore ce que c’est que le "non-monde". Le "non-monde" n’est pas seulement sale et sordide, il supprime toute idée de liberté. Il est impossible d’échapper à l’œil grossier du "non-monde" une fois que vous l’avez pénétré : vos faits et gestes sont analysés et commentés, vous n’êtes dès lors plus libre. Alors même que sans liberté la création ne peut s’exercer, comment puis-je envier cette place ? J’ai ma place, elle se trouve dans mon atelier et chaque jour que j’y passe est une illumination.
Le "non-monde" reproduit sans arrêt la même chanson, philosophie ou recette ; il rejette toute forme d’invention nouvelle ou ne l’accepte que si l’arrière-pays (ce corps qu’il ne connait pas mais qui le fait exister) l’adopte. Si vous ne reproduisez pas le même livre ou la même symphonie que le "non-monde" réclame, des spécialistes du dénigrement seront appelés en renfort afin de vous expulser. Aussi, il existe un non-conformisme du "non-monde" mais il s’agit d’un non-conformisme conforme aux attentes du "non-monde" ; un artefact souvent vulgaire, assez provocateur pour occuper cette place mais insuffisamment subversif pour renverser quoi que ce soit. Donc, rien à jalouser ou même à plaindre puisque le "non-monde" est une sorte de fiction ; fiction d’un petit peuple de faussaires qui a l’arrogance de se rêver prince de la réalité. Grégory Huck